
Les cœurs vont fondre aussi sûrement que les glaces cet été avec le final attendu du teen drama L’été où je suis devenue jolie, dont la saison 3 commence le 16 juillet sur Prime Video. L’occasion de se pencher sur le ressort narratif au cœur de la série : le triangle amoureux.
« Est-ce que Belly va finir avec Jeremiah ? » C’est la question la plus couramment posée sur Google, associée à la série L’été où je suis devenue jolie. Lancée en 2022 sur Prime Video, cette adaptation par Jenny Han de sa trilogie littéraire publiée entre 2009 et 2011 a ressuscité avec succès une recette qu’on pensait usée jusqu’à la moelle : le trope du triangle amoureux. Ce dernier implique donc trois personnes, des imbroglios amoureux et généralement de douloureuses décisions à prendre, ayant pour conséquence un ou plusieurs cœurs brisés.
Un grand classique télévisuel
Aussi vieille que les tragédies de Shakespeare (Juliette doit choisir entre Roméo et le comte Pâris), cette convention de fiction est apparue dans des classiques du cinéma, comme Casablanca (1942) ou Jules et Jim (1962), avant d’investir le monde des séries, et plus particulièrement le genre des teen dramas. Les Millenials ayant grandi durant les années 1990-2000 ont ainsi eu droit à une généreuse dose de triangles amoureux insolubles.

Kelly, Dylan et Brenda dans Beverly Hills, Dawson, Joey et Pacey dans Dawson ou encore Peyton, Brooke et Lucas dans Les frères Scott figurent parmi les plus iconiques de cette période. Les œuvres sur les vampires ne sont pas en reste : Buffy a lancé la tendance avec Angel, Buffy et Spike, Vampire Diaries a suivi avec Damon, Elena et Stefan, et True Blood a surenchéri avec Eric, Sookie et Bill.
Dans ces fictions, le triangle amoureux suit quelques règles invisibles : deux personnages, le plus souvent masculins, se disputent les faveurs d’un troisième personnage, généralement féminin et indécis. Histoire de marquer le contraste, l’un des protagonistes est brun et l’autre blond. À l’image de sa couleur de cheveux, le premier affiche une personnalité sombre et torturée tandis que son rival est aussi fun et solaire que sa blondeur.

L’un des deux a le privilège d’être le premier amour, celui qui est censé être destiné à l’héroïne, tandis que le deuxième se pose en alternative et va permettre à notre ingénue de sortir de sa zone de confort. Dans Buffy, l’adolescente voit son destin imbriqué dans celui du vampire Angel : ils représentent les amants maudits et destinés l’un à l’autre, façon Roméo et Juliette. Plus tard, une Buffy adulte expérimente une sexualité et une relation plus adulte avec Spike.
Pacey embrasse Joey
La série Dawson joue sur la carte de l’amitié d’enfance, appelant un imaginaire d’innocence qui sied au grand amour. Joey et Dawson ont tout fait ensemble, alors pourquoi ne pas passer sa vie comme on l’a commencée, ensemble ? Mais Pacey apporte une fraîcheur, un humour et une autre forme de romantisme tout aussi irrésistibles pour Joey. Il la challenge.
En dehors des nombreux ressorts dramatiques qu’il permet d’actionner, le triangle amoureux est aussi très prisé dans les teen dramas parce qu’il permet de personnifier le passage à l’âge adulte. Dawson représente l’enfance de Joey, une sorte de paradis perdu qui tiendra toujours une place à part dans son cœur, tandis que Pacey représente un amour moins idéalisé et plus mature.
L’histoire interdite entre Pacey et Joey, et les dramas qui s’ensuivent ont permis à Dawson de nous livrer une troisième saison iconique. Elle s’achève par la fameuse scène durant laquelle Dawson s’écroule en pleurant (devenant au passage l’un des premiers mèmes de l’histoire d’Internet) sur le ponton devant sa maison, tandis que Joey court rejoindre Pacey sur son bateau et s’enfuit avec lui sous le soleil couchant.

Comme l’ont expliqué les scénaristes de la série, ils étaient en panne totale d’inspiration à la fin de la saison 2. Greg Berlanti propose alors une idée simple qui va sauver le show : Pacey embrasse Joey. Les meilleurs triangles amoureux parviennent à conserver jusqu’au bout le suspense du choix de l’héroïne. On a souvent affaire à une bataille entre le « grand amour » et « l’outsider », métaphore de la dichotomie entre le destin et le libre arbitre.
Selon les œuvres et leur vision plus ou moins conservatrice de l’amour, l’un des partis l’emporte. À la fin de Dawson, Joey choisit l’outsider, tout comme Elena dans Vampire Diaries qui opte pour Damon. En revanche, dans la saga Twilight, Bella n’aime véritablement qu’une seule personne, le vampire Edward, et le pauvre Jacob ne lui sert que de distraction pour un temps.
Team Jelly versus Team Bonrad
Avec ses vibes nostalgiques, ses personnages qui se connaissent depuis leur enfance et la place centrale que tient le triangle amoureux dans l’intrigue, L’été où je suis devenue jolie surfe sur la même vague que celle de Dawson. Comme dans le show de Kevin Williamson, qui dévoilait le choix de Joey dans la toute dernière scène de la série, la décision de Belly sera LA grande révélation de l’épisode final de la production de Jenny Han, qui sera diffusé le 17 septembre sur Prime Video.

Jusque dans son mode de diffusion – un épisode par semaine et non pas une saison mise en ligne d’un coup comme le font habituellement les plateformes –, cette dernière convoque les séries des années 2000. Après avoir crushé sur Conrad durant son enfance et son adolescence, Belly était séduite par son frère Jeremiah, avec lequel elle entamait une relation amoureuse en saison 2.
Au début de la troisième salve, on retrouve les deux tourtereaux filant le parfait amour. Ils décident même de se marier, à la grande surprise de leurs familles respectives. Pourtant, Belly l’avoue dans le trailer de ce chapitre 3 : « Quand je suis avec Jer, tout est plus facile. Mais partout où je vais, le souvenir de Conrad me hante. »
Si L’été où je suis devenue jolie cartonne partout dans le monde, c’est aussi parce que son triangle amoureux a su créer beaucoup d’engagement sur les forums et réseaux sociaux, où la bataille entre les fans de la Team Jer et de la Team Conrad fait rage. Les fans de #Jelly mettent en avant la beauté du jeune homme, sa loyauté, son tempérament joyeux ou encore la façon dont il a toujours pris soin de Belly. Pour eux, Conrad est un petit ami immature et toxique avec Belly, qui la rabaisse chaque fois qu’il ne sait pas gérer ses émotions.
Mais, pour la team #Bonrad, l’alchimie entre Belly et Jer relève de l’amitié, tandis que sa relation pleine de passion et de tension avec Conrad est révélatrice de leurs sentiments amoureux. Et puis, la manière dont Belly parle de Conrad (rappelons qu’elle est la narratrice de la série) ne laisse planer que peu de doute sur son choix final.
C’est l’une des grandes réussites de cette production : son triangle amoureux plaît à la fois aux Millennials nostalgiques de Dawson et à la Gen Z qui multiplie les edits et les débats enflammés. Le hashtag de la série compte plus de 500 000 publications sur TikTok, et certains posts affichent des millions de likes. Très au fait des tropes narratifs dans les teen dramas, les fans s’amusent aussi de l’indécision chronique de Belly et des ficelles aussi grosses qu’assumées du show.
Les règles du triangle amoureux changent
Alors, qui va remporter le cœur de Belly et l’embrasser à Cousin’s Beach au coucher du soleil, sur fond de Taylor Swift ? « Je vous jure, si à la fin de la série, elle dit qu’elle “se choisit elle”, je vais péter un boulon ! », assure une fan dans les commentaires YouTube. Si l’option de ne choisir aucun des deux reste une possibilité (Buffy opte pour cette fin), il est vrai qu’elle serait déceptive pour les fans impliqués dans une production ayant autant joué sur le triangle amoureux. Jenny Han pourrait choisir de mettre en images la fin qu’elle a écrite dans le troisième tome du livre (on vous laisse aller la découvrir) mais elle serait alors assez prévisible.

D’un autre côté, la showrunneuse a déjà changé des détails importants concernant les personnages de la série par rapport au roman, comme leurs origines ethniques ou l’orientation sexuelle de Jeremiah (il est bisexuel). Elle pourrait donc opter pour une fin différente de celle des romans, histoire de coller davantage à la société actuelle et de surprendre les fans.
Dans XO Kitty, le spin-off de À tous les garçons que j’ai aimés, Jenny Han a par exemple mis en place un triangle amoureux entre l’héroïne, Kitty, son petit ami Dae et Yuri, une camarade dont elle fait la connaissance dans son université coréenne. Kitty expérimente ainsi une attirance lesbienne qui change un peu les règles du jeu du triangle amoureux, particulièrement hétéronormatif dans les teen dramas, alors que sa configuration invite plutôt à réfléchir à la fluidité des attirances et des sentiments.
Dans la saison 2, Kitty en pince aussi pour Min-ho, et une attraction « enemy to lovers » (un autre trope narratif très efficace pour créer de la tension entre deux personnages) voit le jour : la scénariste nous plonge alors dans un joyeux carré amoureux. Dans un genre plus adulte, True Blood posait un fantasme de Sookie à l’aide d’une scène de rêve hot : être en couple avec Eric et Bill en même temps. Et si tous ces triangles amoureux sériels étaient une façon déguisée de satisfaire nos envies de polyamour ?
Dans le cas de L’été où je suis devenue jolie, une œuvre beaucoup plus sage que True Blood, où deux frères se disputent leur amie d’enfance, on ne risque pas d’en arriver là. Finalement, cette adaptation modernise légèrement une recette aux vibes années 1990-2000 qui a fait ses preuves. Son succès international auprès de différentes générations prouve surtout que, quelle que soit l’époque, nos amours adolescentes conservent toujours une saveur particulière : celle de l’intensité des premières fois.